Voici l'interview de René Balcer réalisée par Martin Winckler pour les besoins du
Génération Séries N°23
(Janvier/Février/Mars 1998).
Voir également :
Interview de René Balcer dans E¶SODE (2003)
Entretien René Balcer - Martin Winckler (Video sous-titrée)
Entretien avec Rene Balcer
Producteur exécutif et scénariste de New York District
Propos recueillis par Martin Winckler
Avec son créateur, Dick Wolf, René Balcer est un des principaux artisans de New York District. Né au Canada, il a d'abord été
caméraman, puis a tourné des documentaires et a ensuite travaillé dans le milieu du cinéma, à Hollywood. Il s'est joint à l'équipe de
scénaristes de New York District dès la première année (1990) et en a, depuis, écrit ou coécrit près de 50 épisodes. Depuis
l'an dernier, il est le "show runner", c'est à dire le principal producteur exécutif de la série, juste après Dick Wolf, dont les activités
sont actuellement tournées vers deux autres séries en production : New York Undercover et Players. Lauréat de plusieurs
récompenses pour son travail de scénariste et de producteur sur la série, il a reçu l'Edgar Allan Poe Award des Mystery Writers of
America et, bien sûr, l'Emmy Award de la meilleure série dramatique en octobre 1997 pour New York District. Malgré son investissement
quotidien très important dans la série, il a très amicalement répondu à nos questions.
GS: Vous avez été scénariste de New York District dès ses débuts, puis "script-consultant", et à présent
producteur. Parlez-nous de cette expérience.
René Balcer : Il est très excitant de voir comment, au fil des années, la série a évolué sur le plan narratif,
dans la complexité émotionnelle et psychologique des personnages et des problèmes traités. New York District est très proche d'une
"anthologie" : nous n'avons pas de ligne narrative complexe à construire autour des personnages. Chaque semaine, nous racontons une histoire
différente, d'un bout à l'autre. Cela nous permet toute liberté pour aborder n'importe quel sujet, qu'il soit politique, social ou
psychologique.
GS: Comment travaillez-vous les scénarios? Quelles sont les qualités nécessaires pour écrire cette série?
RB: Nous choisissons les sujets en début de saison et nous les affectons à différents scénaristes, qui travaillent seuls
ou en duos. Nous tirons nos idées d'un peu partout : des titres des journaux, de notre propre imagination, des faits divers. Tout ou
presque peut donner lieu à un scénario de New York District. Les scénaristes proposent parfois leur propre idée, ou c'est moi
qui en ai une et qui la confie à l'un d'entre eux. ça marche dans tous les sens. Un scénariste de New York District doit d'abord
bien écrire, il doit être un fin observateur de la nature humaine, il faut qu'il soit capable d'associer scènes d'exposition et
développement des personnages, il faut qu'il soit subtil, et il doit croire que la concision est toujours un plus.
GS: Quels sont vos objectifs pour l'actuelle 8ème saison? Le développement des personnages va-t-il être différent
de celui de la 7ème saison?
RB: Notre objectif actuel... c'est de finir la saison. Nous allons montrer un peu plus précisément la manière dont les
personnages sont affectés par leur travail, mais nos histoires vont rester directes et centrées sur les cas traités.
GS: De nombreux indices semblent indiquer qu'au cours des 5ème et 6ème saisons,
Claire Kincaid et Jack McCoy ont probablement une liaison.
Quelle était la raison de cette ligne narrative? Etait-elle destinée à rendre les personnages plus réalistes, ou vous et les autres
scénaristes pensiez-vous que cela ajoutait à la complexité des cas, et aux subtilités de l'histoire ?
RB: Oui, il s'est bien passé quelque chose entre eux. Nous l'avons fait pour plusieurs raisons : pour intéresser scénaristes
et acteurs - c'était un développement cohérent de la relation mentor-disciple qu'il y avait entre McCoy et Kincaid; ça donnait du piment à
leurs scènes ensemble, et je crois que cela intriguait le public. Et la première obligation du scénariste, c'est d'empêcher le public
de s'ennuyer.
GS: Comment voyez vous la relation entre Briscoe et
Curtis, comparée à celle que Briscoe avait avec Logan?
(NDLR: Mike Logan, le personnage inteterprété par Chris Noth, est muté après une rixe à la fin de la 5ème saison. Au cours des
saisons suivantes, il est remplacé par Reynaldo Curtis (Benjamin Bratt), inspecteur latino-américain dont le personnage est très
controversé au sein du public de fans de New York District)
RB: Briscoe et Logan étaient deux versions du même personnage à des ages différents. Cela posait des problèmes aux
acteurs comme aux scénaristes. Curtis est complètement différent de Briscoe : plus conservateur, plus collet monté et à certains égards plus
naïf. Je dirais que Curtis est un apprenti réticent, à qui un professeur cynique donne des leçons qu'il a du mal à encaisser.
GS: Parlez-nous des épisodes "crossovers" que vous avez fait avec
Homicide? (NDLR: La série Homicide Life on the Streets, dont l'action se situe à Baltimore, a été récemment acquise et devrait
bientôt être diffusée par Série Club. Les "crossovers" sont des épisodes en deux parties au cours desquels les protagonistes des deux
séries enquêtent ensemble, et se "reçoivent" mutuellement, sur leurs terrains respectifs. Le premier crossover, qui se déroule au cours de
la 6' saison de New York District, est très réussi. Le second vient juste d'être diffusé à la télévision américaine.
Nous ne l'avons pas encore vu.)
RB: La difficulté avec ces "crossovers", c'est de construire une histoire qui puisse, sur le plan pratique, être
située dans les deux villes, mais aussi qui soit assez importante, dans le poids de son contenu, pour s'étendre sur deux heures.
Les deux scénarios doivent être complètement écrits avant que la production ne commence pour les deux séries et les deux épisodes
sont tournés en une fois, comme s'il s'agissait d'un épisode double. Pour les équipes de production, c'est un cauchemar logistique.
GS: Pour moi qui ai eu la chance de les voir, les derniers épisodes des 6ème et 7ème saisons sont des histoires
très impressionnantes. L'une et l'autre étaient en rapport avec la mort et leur signification était très profonde. L'accident de Claire
Kincaid, à la fin d'Aftershock (6ème saison), et la poignante décision prise par
Adam Schiff au chevet de sa femme à la fin de Terminal
(7ème saison) sont des fins très impressionnantes. Considérez-vous, vous aussi, ces deux histoires comme des réussites?
RB: Oui, je considère qu'elles le sont toutes les deux. Afterschock était une expérience risquée mais gratifiante,
qui nous a donné beaucoup de matériel exploité dans le développement des personnages au cours de la 7ème saison. Terminal est une
histoire qui a sans doute été beaucoup plus appréciée du public, et c'est une belle réussite de parallèle entre le cas criminel et
l'histoire personnelle d'un des protagonistes.
GS: Quel genre d'histoires aimeriez-vous traiter dans la série? Y en a-t-il que vous n'ayez pas pu réaliser?
RB: Toutes les histoires que j'ai imaginées ont été tournées, celles auxquelles je n'ai pas pensé, non! Il n'y a pas
de vaches sacrées sur New York District, pas de sujets tabous.
GS: Que pensez-vous, personellement, du système judiciaire américain ?
RB: Globalement, c'est probablement le plus équitable qu'on ait conçu jusqu'ici. J'ai grandi au Canada, et j'ai
fait l'expérience du code civil qui a cours au Québec et en France. J'ai également vu ce que donnait un code civil britannique qui,
jusqu'à tout récemment, ne contenait pas de dispositions protectrices pour l'individu, comme les 4ème, 5ème, 6ème, 7ème et 8ème amendements
de la constitution américaine. A partir de cette expérience, je peux vous dire que, même imparfait, le système judiciaire américain est
le plus équitable de tous.
GS: Combien de temps voudriez-vous voir la série se poursuivre? Pensez-vous qu'elle puisse continuer encore longtemps?
La page Web de Wolf Films indique que vous avez cocréé une série pour une chaîne française. De quoi s'agit-il?
RB: J'aimerais que la série continue... aussi longtemps que j'ai envie de travailler dessus. Mais en théorie, ça
peut continuer aussi longtemps que les criminels continuent à commettre des crimes. La série que i'ai cocréée pour la télévision française
s'intitule Mission: Protection Rapprochée. Elle est actuellement en cours de production pour TF1.
GS: Quelles sont vos séries dramatiques préférées? Que pensez-vous de la télévision américaine, actuellement.
Quels sont vos espoirs ou vos craintes pour l'avenir?
RB: J'ai de grands espoirs, en particulier dans le secteur du câble. La télévision américaine est un milieu idéal
pour les scénaristes. A l'heure actuelle, c'est le meilleur vecteur narratif qui soit, et la meilleure trame sur laquelle on peut
examiner la comédie humaine. L'une de mes craintes est que la production télévisée américaine, pour ce qui est des grands studios, ne
soit influencée par les ventes à l'étranger, et de voir le secteur des ventes à l'étranger dicter le genre de comédies et de séries
dramatiques qu'il faut développer. Cela voudrait dire que des séries comme New York District, New York Police Blues,
Hill Street Blues et St Elsewhere (NDLR: Extraordinaire série des années 80, prédécesseur d'Urgences et de
Chicago Hope, située dans un hôpital. Quand la verrons-nous en France?) seraient remplacées par des clones répétitifs de
Hercule et de X-Files.
GS: Qu'avez-vous ressenti en obtenant l'Emmy Award de la meilleure série dramatique, il y a deux mois ?
RB: Nous avons tous été très excités et très surpris. Nous avons ressenti cette récompense comme la reconnaissance
de tout ce que nous faisons depuis sept ans.
GS: Que pensez-vous de la manière dont les fans de New York District parlent des scénarios et des
personnages sur les mailing lists et leurs pages web ?
RB: C'est très gratifiant, ça nous amuse et ça nous intéresse de lire ce qu'écrivent les fans et ce qu'ils disent
de la série sur l'Internet. Je me branche régulièrement et je prends tout à fait au sérieux les commentaires, les critiques et les
discussions autour de chaque épisode.
GS: Que diriez-vous à une personne qui ne connaît pas la série, pour l'inciter à la regarder ?
RB: C'est une chronique de notre époque. Tout ce que vous voulez savoir sur l'Amérique, vous pouvez le trouver dans
les 180 épisodes de New York District. Si un spectateur aime les histoires dramatiques, avec des retournements, des dilemmes
émotionnels et intellectuels, des fins imprévisibles, une manière oblique d'appréhender les problèmes controversés, et s'il aime les
scénarios rapides et les excellents acteurs, alors New York District est la série à regarder. C'est à la fois du cinéma-vérité,
du néoréalisme et de la fiction narrative. C'est une série nerveuse, urbaine. Une série coup-de-poing.
Propos recueillis par Martin Winckler
Cette interview est extraite de
Génération Séries N°23