L'article qui suit est extrait de
Génération Séries N°23
(Janvier/Février/Mars 1998, numéro malheureusement épuisé).
New York District
L'ordre des choses, les lois de la narration
Par Martin Winckler
Je vais sans doute en surprendre plus d'un, mais il existe à mes yeux de très nombreux points
communs entre New York District et Mission : Impossible. Certains de ces points communs sautent aux yeux : ce sont deux séries
"anthologiques", dans lesquelles les vies intimes des personnages principaux sont très peu évoquées, elles sont toutes deux construites
autour d'une équipe récurrente : les policiers et leur divisionnaire, les procureurs adjoints et le procureur général, et quelques personnages
secondaires à la présence marquante.
Les ressemblances, me dira-t-on, s'arrêtent là : Mission est une série
stylisée, théâtrale, dont l'argument est la mise en scène et dont les personnages ont très peu de sentiments. New York District est une
série réaliste, tournée caméra à l'épaule dans la "Grande Pomme", souvent à partir d'histoires vraies, et si la vie privée des personnages
reste longtemps très vague, du moins pendant les cinq premières saisons, leurs hésitations, leurs préjugés, leurs intuitions ou leurs dégoûts
font partie intégrante des enquêtes.
Cependant, ce qui fait de Mission : Impossible et de New York District
deux séries très proches, c'est avant tout leur conception, tout entière fondée sur une écriture scénarique d'une force et d'une efficacité
aussi grandes qu'elle est sèche et concise.
Pour ceux qui, trop nombreux, ne connaissent pas la série, un tout petit rappel
de l'argument. Chaque histoire commence au moment où un passant, un gardien, un écolier découvre ou assiste à un crime. La première partie de
l'épisode suit peu ou prou les inspecteurs dans leur enquête et leurs tâtonnements, la seconde tourne autour de la procédure judiciaire
entamée par les procureurs, qui "poursuivent les criminels"... ou supposés tels. Car la vérité est fuyante, et les retournements fréquents.
L'épisode se conclue tantôt par une condamnation, tantôt par un "accord" (lire "marchandage") entre défense et partie civile, tantôt par un
acquittement, voire par un vice de forme qui impose de tout recommencer.
Parlons des personnages. Comme dans Mission, ils changent au fil des
années. Des deux policiers présents lors de la première saison, Mike Logan (Chris Noth, le plus jeune des deux)
est le plus attachant. Pour les fans américains de la série, il incarne New York District au même titre que le procureur
Ben Stone, dont je parlerai plus loin. Logan est présent tout au long des cinq premières saisons
(les seules diffusées en France). Beau garçon, célibataire, impulsif, on sent qu'il aurait pu devenir délinquant, s'il n'avait eu un père
flic. Il sera muté brutalement, à la suite d'une rixe où il donne le mauvais coup de poing. Son premier partenaire,
Max Greevey (George Dzundza) est un petit homme rondouillard, catholique pratiquant, expérimenté
et chaleureux. Il est tué dans le premier épisode de la deuxième saison. Lui succède Phil Cerretta
(Paul Sorvino), autre père de famille plein de bonhomie, mais plus imposant, plus rassurant aussi, plus protecteur.
Atteint par une balle "sans avoir jamais sorti son arme pendant 30 ans", il devra accepter un poste dans un bureau. Le troisième partenaire
de Mike, Lennie Briscoe (Jerry Orbach), est un homme plus sec, plus cynique en raison de ses
antécédents de buveur. Divorcé, père de deux filles qu'il voit peu, il saisit très vite les ambiguïtés, les mensonges, les à-peu-près de ce
que lui disent les témoins ou les suspects. Il sait jouer les braves types pour les amadouer, mais c'est un renard. Un renard passablement
désabusé. Le partenaire dont il hérite après le départ de Logan, Reynaldo Curtis (Benjamin Bratt)
est un jeune inspecteur latino-américain, très up-to-date (il utilise un portable et pratique l'Internet comme pas un), mais aussi très rigide
par certains côtés.
Deux divisionnaires se succèdent dans le commissariat : d'abord le capitaine
Cragen (Dann Florek), ancien alcoolique lui aussi, qui aboie comme un bouledogue mais fait toujours
preuve d'un solide bon sens. Lui succèdera Anita Van Buren (S. Epatha Merkerson), femme
noire qui assume avec autorité la fonction de lieutenant de police dans un monde de blancs.
Autour d'eux évoluent plusieurs personnages secondaires - et d'abord
l'inspecteur Profaci (John Fiore), chouchou du public américain, qui passe les appels quand il ne donne pas un coup de main sur le terrain.
Mais il y a aussi l'experte en balistique, les médecins légistes, et la psychiatre attachée au bureau du procureur, le Docteur
Olivet (Carolyn McCormick), personnage-clé de nombreux épisodes.
Côté procureurs, les choses ont aussi évolué au fil des saisons. La première
équipe, pendant trois ans, est composée de Ben Stone (Michael Moriarty), le premier substitut,
et de son assistant Paul Robinette (Richard Brooks, rebaptisé Paul Robards, dans la V.F.). Paul
est un grand noir aux cheveux coupés en brosse, originaire d'une famille modeste mais désireux d'apporter la justice à tous.
Son appartenance ethnique n'est pas sans importance dans le déroulement des histoires, et dans la manière dont certains suspects ou certaines
familles réagissent face à ce qu'ils considèrent comme une justice raciste. Le personnage, "évacué" sans explication en même temps que
Cragen parce que la chaîne voulait que l'équipe se féminise, réapparaîtra dans un épisode ultérieur. Au début de la quatrième saison, il
est remplacé par Claire Kincaid (Jill Hennessy), jeune juriste encore réservée, mais dont le rôle
grandira et s'étoffera avec beaucoup de subtilité au cours des trois années suivantes. Elle sera à son tour remplacée par une autre femme,
Jamie Ross (Carey Lowell), mère de famille divorcée et au caractère mordant.
Le substitut Ben Stone est, avec Mike Logan, l'un des personnages le plus
représentatif de la série. De même que Logan incarne une certaine révolte face à la violence et au crime, Stone représente à lui seul le
désir acharné de faire appliquer la loi, de la manière la plus juste possible, en dépit de ses propres convictions profondes. Ce n'est pas
un obsessionnel, mais un écorché. Comme il le dit lui même à une de ses interlocutrices : "Je suis catholique, Madame. Je peux me sentir
coupable de n'importe quoi." C'est son appartenance à une culture, sa connaissance intime des préjugés les plus profonds des individus,
qui lui permettent de les confondre. Michael Moriarty habite ce personnage avec une telle force, une telle vérité, que lorsqu'au bout
de quatre ans l'acteur quitte la série, les scénaristes le font démissionner parce qu'il a provoqué, en le poussant à bout, la mort
d'un témoin. C'est la culpabilité qui le tait s'en aller, et la cohérence de ce geste avec ce qu'on sait du personnage est à la mesure
de la cohérence des scénarios tout au long de la série.
A Stone succède un personnage très diflérent :
Jack McCoy (Sam Waterston), homme d'aspect et de comportement beaucoup plus retors,
apparemment beaucoup moins préoccupé de faire respecter la loi que du désir d'être efficace à tout prix. En réalité, il masque sous
un comportement sarcastique les mêmes affres de culpabilité que Stone. Juriste brillant, il pourrait exercer dans le privé. Comment
expliquer qu'il préfère rester mal payé au service de l'Etat de New York, sinon parce qu'il est, lui aussi, plus assoiffé de justice
que d'argent et de pouvoir?
Le dernier personnage récurrent de la série... nous ramène à
Mission: Impossible. C'est Adam Schiff le procureur général, interprété par Steven Hill,
qui fut il y a trente ans Dan Briggs, prédécesseur de Peter Graves à la tête de l'Impossible Missions Force.
Curieusement, Schiff occupe aussi peu l'écran que Dan Briggs dans ses
derniers épisodes de Mission. Mais Schiff n'est pas un chef, c'est un sage. Un mentor. Un vieux routier de la justice, qui sait que
son poste reste suspendu au jugement des urnes (les procureurs sont élus, aux Etats-Unis). Toujours soucieux de ne pas favoriser
(fût-ce en apparence) les riches contre les pauvres, les blancs contre les noirs (ou l'inverse), il est lui aussi d'une intégrité absolue.
Ses apparitions sont souvent brèves (seulement deux ou trois scènes d'une ou deux minutes dans beaucoup d'épisodes), mais il n'en est pas
moins très présent, par ses réflexions et son attitude didactique mais dénuée de complaisance. Et il est totalement incorruptible, que
ce soit par l'argent ou par les sentiments. Il le montre à pluieurs reprises en refusant de donner le moindre passe-droit à un juge ou
à un vieil ami sénateur. Il refusera également, au cours du stupéfiant épisode final de la septième saison, de requérir la peine de mort
récemment rétablie dans l'état de New York pour favoriser la réélection du gouverneur. Seul rescapé de la distribution originelle de la
série, il est en quelque sorte l'âme et la mémoire de New York District. Et Steven Hill est un acteur exceptionnel.
Dans New York District, et c'est l'une des principales caractéristiques
de cette série hors norme, la loi ne gagne pas toujours. Et d'abord, parce qu'il est souvent difficile de découvrir la vérité.
Ce qui rend cette série exceptionnelle, ce n'est pas son caractère apparent de
"variation sur un thème", mais c'est que, malgré ce cadre apparemment immuable (un crime, une enquête, une procédure, un dénouement),
aucune histoire ne ressemble à la suivante. New York District est une série riche, parce que ses épisodes commencent parfois de
manière très brutale pour nous entraîner dans des récits très sombres, mais débutent plus souvent encore d'une manière presque stéréotypée
(un meurtre, un cambriolage, l'abandon ou le rapt d'un enfant) et apparemment sans surprise (on arrête l'assassin immédiatement, on retrouve
tout de suite le kidnappeur) pour ouvrir sur des histoires d'une époustouflante complexité, sur des dilemmes d'une profondeur insondable.
De sorte que tous les épisodes (les quelques histoires "faibles" ne parviennent jamais à étouffer la puissance de l'effet) laissent au
spectateur, au moment du générique final, un sentiment très inconfortable, de tristesse, de colère, de perplexité et d'abattement mêlés.
Le crime, en effet, paraît bien triste, quand on le regarde par ce prisme.
Peu d'histoires de grand banditisme, peu de tueurs à gages, peu de machinations complexes. Les méfaits sont à la hauteur de ceux qui les
commettent : pathétiques, crapuleux, vénals, passionnels, accidentels, favorisés par l'égoïsme, l'inconscience ou la perversité.
Et ce qui rend difficile la tâche des policiers, ce n'est pas l'alibi de tel
ou tel suspect (ils subodorent souvent qui est le coupable), mais la question incessante qui agite la société américaine : où commencent
et s'arrêtent les droits de l'individu?
Dans New York District, il est plus souvent question de vices de
procédure, d'aveux extorqués, de non recevabilité des preuves que de victoire sur le crime. C'est qu'aux Etats-Unis, l'individu est
toujours présumé innocent, et il appartient à la partie civile de faire la preuve de sa culpabilité. Chaque enquête tourne autour d'une
personnalité, plus qu'autour d'un crime. Et c'est parfois la compréhension intime de cette personnalité qui permet aux hommes de loi de
marquer un point. Ou de perdre.
Dans New York District, personne n'est innocent, à commencer par les
gens "honorables" : les policiers sont parfois des racketteurs, les prêtres des pervers sexuels, les médecins des violeurs, les avocats des
escrocs, les révolutionnaires de vulgaires assassins, les bien-pensants anti-avortement des poseurs de bombes. Même les personnages
principaux sont, un jour ou l'autre, mis en question.
Le crime n'est pas seulement le fait des ghettos, des gangs de rue ou des
toxicomanes, il est de tous les milieux, de toutes les ethnies. C'est la jalousie, la vengeance, l'orgueil ou l'aveuglement qui le
déclenchent, aussi souvent que la cupidité.
Plus sombre encore, le crime est souvent une affaire de famille. En écoutant
les histoires que nous racontent les scénaristes, on découvre avec effroi - quand on l'ignorait - que les familles sont souvent le lieu des
pires exactions, des pires ignominies : les hommes font assassiner leurs femmes, les femmes abandonnent ou étranglent leurs enfants,
les enfants battent leurs parents, les petites-filles laissent leurs grands-mères mourir de faim.
Et pourtant, malgré ce portrait d'une sombre humanité, ce n'est pas une série
sinistre. La justice triomphe parfois. La vie continue. L'amitié et la loyauté existent, même si la noirceur et la haine tentent toujours
de les engloutir. Comme le dit cyniquement McCoy, "Je voudrais que ce salaud pourrisse en enfer, mais l'enfer n'est pas dans ma juridiction."
Comme le dit justement Ben Stone, il n'est pas possible d'éradiquer le crime, mais on peut au moins faire en sorte de le contenir. Autant
que possible. Et de continuer à vivre. La dignité de l'individu est à ce prix. New York District c'est le rocher de Sisyphe : on sait
qu'il va retomber, mais on continue à gravir la pente. Bref, une mission impossible, une vraie, celle-là. Les illusions en moins, la dure
réalité en plus. Mais contée avec le même talent et la même exigence. Bref, une très grande œuvre.
Merci à Randee Dawn Cohen et à Debbie White pour leur précieuse collaboration transatlantique.
Voici l'édito de ce même N°23 de Génération
Séries:
New York District vaincra Derrick!
Par Christophe Petit
Cela fait maintenant trois ans que nous vouons France 3 aux gémonies parce que
la chaîne diffuse n'importe comment New York District. Alors, bien sûr, c'est facile de critiquer, de montrer du doigt, de dire du mal
(bref, de faire les Guignols), mais qu'est-ce qu'on avait fait nous, à Génération Séries, pour mettre en vedette cette excellente série
mi-policière, mi-judiciaire?
Pas grand chose, en fait, ou si peu. Il fallait bien pourtant qu'un jour,
la presse française consacre un dossier à cette série dont personne ne parle jamais, dont France 3 se moque totalement, et que personne
(sauf les vrais amateurs de séries) ne regarde, parce que personne ne sait quand elle est diffusée.
New York District, ce n'est pas Derrick. ça, à France 3,
ils l'ont bien compris - C'est d'ailleurs leur leitmotiv pour justifier de leur intolérable mépris - envers une œuvre qui vient de
remporter la principale récompense de la télévision américaine : l'Emmy Award de la meilleure série dramatique pour 1997. ça, France 3
l'ignore, et quand on le lui apprend, elle affiche son indifférence. Pas terrible pour une chaîne publique qui, au lieu de faire de
l'audimat (Derrick, le dimanche soir, en fait !) devrait au contraire mettre en valeur des œuvres un peu plus dérangeantes
(et intelligentes !) que les soporifiques aventures du flic teuton. Mais vous imaginez, vous, une grande série polémique qui parle de
meurtres, de la violence dans les grandes villes, de ségrégation, de trafics d'immigrés, de préjugés contre l'homosexualité, d'inceste,
de drogue, du sida, de parents qui battent leurs enfants, d'enfants qui battent leurs parents, de médecins sans aucun scrupules,
des faiblesses de la loi et de ses ratés, bref, de l'état de la société américaine...?
Non, vous n'imaginez pas que ça existe.
Eh bien, si ! La preuve dans ce numéro.
Voici les encadrés du dossier NYD de ce même N°23 de
Génération Séries:
Appel aux directeurs de programmes des chaînes françaises
Ne Faites Pas comme TF1 qui diffuse Picket Fences/Un drôle de Shérif/La
ville du grand secret à la sauvette, Ne Faites Pas comme France 2, qui garde Chicago Hope/La vie à tout prix au placard,
Ne Faites Pas comme France3 qui a saboté la diffusion de New York District.
Faites comme Canal Jimmy, qui diffuse NYPD Blue, Star Trek et
Profit. Faites comme Série Club qui diffuse Twin Peaks et Murder One, et qui vient d'acquérir Brooklyn South,
nouvelle série de Steven Bochco et une série inédite très attendue : Homicide Life on the Streets. Faites comme 13ème Rue,
qui diffuse l'autre série de Dick Wolf, New York Undercover.
Aux Etats-Unis. New York District/Law & Drder passe en boucle
deux fois par jour sur la chaîne Arts & Entertainment, C'est la série la plus regardée par le public de la chaîne.
Si vous voulez honorer votre grille d'une grande série dramatique,
ne laissez pas New York District disparaître des écrans français! Achetez les droits de diffusion de cette œuvre exceptionnelle,
faites-nous revoir les cinq premières saisons (très bien doublées par des acteurs remarquables) et faites-nous découvrir les dernières
saisons en VOST.
Quand on est directeur des programmes, il n'est jamais trop tard pour être
intelligent.
Quelques faits
New York District a été créée par Dick Wolf, producteur et scénariste
ayant collaboré à Miami Vice et Hill Street Blues. Elle est diffusée sur NBC depuis 1990. Le pilote,
ô ministres intègres, avait été tourné un an auparavant pour une autre chaîne, qui l'avait refusé - Le rôle du procureur général
y était tenu par Roy Thinnes. Lorsque NBC acheta la série, le pilote fut diffusé en 6ème position.
Depuis sa création, la série a décroché une vingtaine de récompenses dont un Peabody Award (récompense la plus respectée de la télévision
américaine), deux Edgar Allan Poe Awards (décernés par la société des Mystery Writers of America). sans oublier l'Emmy Award 97 de
la meilleure série dramatique, en octobre demier. Elle a reçu pendant ses sept années d'existence une pluie de nominations diverses et
été distinguée par les associations de spectateurs, 6ème et 7ème saisons, des épisodes "crossovers"
ont rassemblé les acteurs de New York District et ceux d'une autre très grande série policière, Homicide Life on the Streets
(récemment acquise par Série Club).
New York District et France 3 : des perles aux cochons
Depuis que France 3 l'a achetée. il y a 3 ans, New York District a
été diffusée le samedi et le dimanche à 14 heures pendant quelques mois, puis le samedi après-midi en bouche-trou (ce qui interdisait
de la voir), puis n'importe quand, au gré des vents, mais sans aucune régularité. L'été, elle était diffusée le dimanche soir, à la place
d'un magazine souvent raillé par les Guignols (Une 'tite poire, Christine ?), ainsi que le jeudi en fin de soirée. Depuis septembre 1997,
sa diffusion a lieu du lundi au samedi, entre Oh30 et 2hOO du matin! Peu après l'annonce de l'Emmy Award, reçu par la série en octobre,
nous avons contacté France 3 pour recueillir les réactions de la chaîne. Non seulement ses responsables l'ignoraient, mais ça ne leur
a fait ni chaud ni froid. Commentaire authentique d'un responsable de la chaîne : "Nous n'avons pas de case pour ce genre de série.
Derrick est plus porteur." France 3 n'a acquis que les droits des cinq premières saisons (aux Etats-Unis, la série en est à sa
huitième) et ce, pour deux diffusions seulement. Autrement dit : la diffusion actuelle est peut-être la dernière avant très longtemps!
Voici l'interview de Yves-Maris Maurin, la voix française de Ben Stone:
Nous avons les moyens de les faire parler
Yves-Marie Maurin
Propos recueillis par Stéphane Lerouge
Issu d'une famille de comédiens, frère de Patrick Dewaere, Yves-Marie Maurin débuté sur les planches à l'âge de cinq ans
(Le feu sur la Terre de François Mauriac} et au cinéma à six ans (Le traqué de Boris Lewin). Parallèlement au théâtre et à la télévision
(Ardéchois cœur fidèle, La mer est grande, Les 400 Coups de Virginie), sa voix a épousé des acteurs étrangers comme Michael York,
Christopher Walken, Burt Reynolds (Stryker) ou David Hasselhoff, dont il est devenu le double vocal à travers K 2000 et Alerte à Malibu.
Pour Yves-Marie Maurin, la rencontre avec Michael Moriarty dans New York District s'est avérée particulièrement stimulante tant
il a dû "aller chercher au fond de lui la vérité profonde de ce personnage atypique".
"Nous vivons vraiment dans un pays à tiroirs, où l'on aime ranger définitivement
les artistes dans un endroit bien précis, avec une étiquette sur le visage. Or, un être humain peut avoir beaucoup de variétés en lui.
Moi, dans la synchro, on m'a souvent attribué des jeunes premiers avec une belle voix. Alors que, par goût, j'aimerais jouer plus d'allumés,
de fous, de personnages compliqués et inquiétants. Autrement dit, je souhaiterais casser les évidences.
Pour cette même raison, j'ai été plutôt surpris que l'on m'appelle pour me
confronter à Michael Moriarty dans New York District, comédien que d'ailleurs je connaissais déjà. Tout de suite, sa manière rapide
de s'exprimer, sa froideur, son côté toujours en observation m'ont frappé. Dès ce moment, j'ai su que, sur lui, je ne pourrais pas parler
normalement. Je devais réinventer sa voix. Car je ne suis pas un perroquet! Dans le doublage, on ne me demande pas de reproduire un son
mais une profondeur, un imaginaire. En plus, dans la V.O., Moriarty avait trouvé un jeu très particulier, avec une voix un peu nasillarde,
comme si elle lui sortait de la tête. Ce qui fait bien sentir que Ben Stone se positionne au-dessus des gens, à l'abri derrière la loi.
Même quand il fait face à un suspect, il le regarde du haut d'un étage.
Il m'a donc fallu me lancer dans plusieurs essais, expérimenter avant de trouver
l'identité vocale du personnage. Ma voix naturelle ne fonctionnait pas, même en la prenant de façon plus grave ou plus légère. ça ne sortait
pas de lui. Car le jeu de Moriarty va au-delà de sa voix. Il a confectionné ce personnage d'homme de loi qui le fait complètement oublier,
lui, en tant que Michael Moriarty. Dans ses grandes plaidoiries, il doit être convaincant, parfois violent, épris de justice, d'honneur,
avec ce sens de la clarté qui lui fait utiliser des images illustrant implacablement ses thèses. En même temps, il ne s'énerve jamais quand
il s'en prend à quelqu'un. La colère est pourtant là, au fond de lui, mais elle ne sort pas. Je préfère marquer les choses, les appuyer
mais sans jamais extérioriser son indignation. De la part du comédien, c'est vraiment une composition tout à fait personnelle.
Cette analyse m'a progressivement amené à un phrasé original, avec un côté
rapide et nasal à la fois. Je me suis alors senti me déplacer dans le personnage. Par rapport à lui, je devenais un transfuge de moi-même.
J'avais trouvé mes marques. Pour les épisodes suivants, ma grande peur était de ne pas me repositionner dans Ben Stone avec exactement
le même timbre, le même phrasé. Toul s'est heureusement bien passé. Peut-être parce que mon côté idéaliste s'harmonise bien avec le sien!
Dans la synchro, le but du travail est de trouver une voix qui entre dans
la structure de l'individu. Si c'est bien joué, le spectateur oublie le doublage pour se laisser immédiatement envahir par le personnage.
Le rapport entre le physique et la voix doit d'emblée s'imposer comme une évidence. Il faut donc le moins de décalage entre ces deux éléments
(physique et voix), ce qui est d'ailleurs parfois contraire à la vie. De toute façon, de multiples voix peuvent appartenir à un même corps.
Si vous éteignez le son de votre téléviseur, que reste-t-il ? La plupart du temps, des marionnettes ! Vous vous apercevez alors de
l'importance de la voix. Elle représente vraiment l'âme, l'expression interne, secrète de l'individu.
Malgré mon affection pour David Hasselhoff, j'ai une préférence pour Michael
Moriarty dans New York District dans la mesure où il s'agit d'une création totalement originale. Car de quoi est-on le plus fier?
De ce qui a réclamé le plus d'efforts ! Mieux vaut aller acheter son pain à la boulangerie en affrontant les intempéries que de se faire
servir son petit déjeuner au lit. Dans le premier cas, vous méritez vraiment votre collation et, en plus, vous en connaissez le prix.
Pour simplifier cette comparaison Moriarty/Hasselhoff, on peut dire que l'un vous enrichit car il vous force à creuser au fond de vous même;
l'autre fonctionne de manière plus basique. Il n'y a rien à aller chercher, il suffit de lire ce que l'on voit! (rires) Sur Moriarty,
au contraire, au-delà du texte, il fallait aussi être très attentif à ses déplacements, à sa gestuelle et surtout à ses regards.
C'est l'un des comédiens qui m'a permis de sortir d'un certain type de voix. D'une certaine façon, il a conforté mon goût permanent de la
remise en cause."
Lire aussi: Interview de René Balcer dans Génération Séries (1998)
Tous les textes présents sur cette page sont extraits de
Génération Séries N°23
Voir aussi :
Extrait de Les grandes séries... par A. Carrazé et JJ Schleret
Extrait de Les séries télé par Martin Winckler
Article paru dans Télérama N°2802 par Philippe Guedj
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